Spectroscopie des nouveaux états quantiques – Effets des impuretés magnétiques et non magnétiques sur la supraconductivité


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  • Membres permanents : Christophe Brun,Tristan Cren, François Debontridder

 

Nous nous intéressons à la supraconductivité dans la limite ultime ou le matériau n’est composé que d’une ou quelques couches atomiques. Un des moyens d’étudier ces systèmes consiste à observer comment ils répondent à des perturbations induites par des défauts, qu’il s’agisse de défauts magnétiques ou non-magnétiques. S’agissant des supraconducteurs conventionnels, dits BCS, P.W. Anderson a montré que ceux-ci n’étaient pratiquement pas sensibles à des défauts non magnétiques. Cependant, nous avons observé il y a peu que des monocouches de Pb présentaient de fortes fluctuations induites par un désordre non magnétique à une échelle de longueur inattendue. C’est un effet de la dimensionnalité purement 2D. A l’inverse des défauts non-magnétiques, les défauts magnétiques sont connus comme étant fortement destructeur pour la supraconductivité. Une faible concentration de défauts magnétiques suffit à détruire l’état supraconducteur. Cet effet est encore plus marqué en basse dimension. Nous avons en effet montré qu’en 2D l’effet d’un seul atome magnétique se manifeste par l’apparition d’un état lié dans le gap dont la fonction d’onde s’étend extrêmement loin de l’impureté. Enfin, les défauts magnétiques et non-magnétiques permettent d’explorer la symétrie de la fonction d’onde supraconductrice, permettant de savoir si les paires de Cooper sont  singulet de spin (non polarisées) ou bien triplet de spin (magnétiques) et si elle sont de symétrie s, p, d ou f ou un mélange de toutes ces symétrie. Pour cela nous avons recours à des mesures de microscopie à effet tunnel à transformée de Fourier.

 

 

Un état magnétique quantique géant dans un supraconducteur bidimensionnel

Il y a une cinquantaine d’années, les physiciens L. Yu, H. Shiba et A. Rusinov ont prédit indépendamment la formation d’états quantiques localisés autour d’un atome magnétique plongé dans un matériau supraconducteur. Nous avons observé récemment des états quantiques produits par des atomes magnétiques individuels dans un supraconducteur bidimensionnel et mesuré leur taille et leur structure par effet tunnel. L’extension spatiale de ces états est environ 20 fois plus importante que ce qui avait précédemment observé dans des systèmes tridimensionnels. Une modélisation théorique a permis d’interpréter ce phénomène quantitativement aussi bien du point de vue de l’extension spatiale que de la structure oscillante ou de la forme étoilée de la fonction d’onde.

Figure 1 : (haut) Carte spectroscopique contenant plusieurs impuretés magnétiques situées à différentes profondeurs dans le matériau. (bas) Stimulation liaison forte des états de Yu-Shiba-Rusinov.

 

 

 

 

 

Nous avons étudié des cristaux de NbSe2 qui deviennent supraconducteurs en dessous de 7 Kelvin et dont la structure lamellaire induit un comportement quasi bidimensionnel. La croissance de ces monocristaux a été réalisée en ajoutant un faible pourcentage d’impuretés de fer conduisant à l’inclusion de défauts magnétiques répartis de manière homogène dans les échantillons. Nous avons mesuré la dépendance spatiale du courant tunnel et reconstitué la distribution des états électroniques. Nous avons ainsi pu révéler la présence d’états étendus et de forme étoilée et isolés les uns des autres. Nous avons mené des investigations théoriques et mis en évidence le lien entre dimensionnalité et extension spatiale ainsi que le rôle des différents paramètres de couplage dans la structure fine de ces états. Des calculs basés sur la structure électronique décrite avec un modèle de liaison forte ont permis de démontrer l’impact de la structure de bande du système sur la forme en étoile à six branche de la fonction d’onde des états de Yu-Shiba-Rusinov. Ces résultats ouvrent la voie vers une nouvelle approche pour coupler des impuretés magnétiques distantes et produire des quasi-particules de Majorana.

Publication

Principales collaborations

  • Equipe de Laurent Cario, Institut Jean Rouxel, Université de Nantes.
  • Equipe de Pascal Simon, LPS, Université Paris Saclay

Financements

Faits marquants

Actualité CNRS INP – Un état magnétique quantique géant dans un supraconducteur bidimensionnel – 21 mars 2016

Axe transverse Magnétisme et physique du spin

Quelles briques de base pour la supraconductivité dans une monocouche atomique ?

L’élément de base de la supraconductivité est la paire de Cooper et les variations spatiales dans les supraconducteurs sont en général données par cette longueur ou bien par la longueur de pénétration du champ magnétique. Cependant, en analysant finement une couche monoatomique de plomb supraconducteur, nous avons ont mis en évidence qu’il existait des fluctuations spatiales de la supraconductivité à des échelles de longueur bien plus petites que la dimension des paires de Cooper. Cette observation est l’indice que dans ce système l’état supraconducteur est plus complexe que ce que l’on pensait jusqu’à présent et il est vite apparu qu’il s’agirait d’un nouvel effet lié à la bidimensionnalité extrême de la monocouche de Pb.

Dans le mécanisme habituel conduisant à la supraconductivité, les électrons s’associent formant des paires de Cooper, qui se condensent toutes dans un même état quantique. Généralement, ces « paires de Cooper » ont une extension spatiale de plusieurs dizaines de nanomètres, soit bien plus que la taille des atomes. En analysant la structure spatiale d’un supraconducteur composé d’une couche monoatomique de plomb déposée sur un substrat de silicium, nous avons mis au jour dans l’état supraconducteur des structures de taille comparable à la taille de quelques atomes, c’est-à-dire bien plus petites que les paires de Cooper, pourtant considérées comme les briques de base de l’état supraconducteur. Ce travail est en contradiction avec les modèles théoriques de supraconductivité dans de tels systèmes. Il suggère l’existence de fortes corrections quantiques de type Bose-Einstein aux paires de Cooper, dues à une importance accrue des effets de corrélation entre électrons via le désordre dans ce système purement bidimensionnel.

Figure 2 : Effets des défauts sur la supraconductivité d’une monocouche atomique de Pb/Si(111). (a) Cette carte illustre le rôle joué par les marches de surface sur la supraconductivité d’un seul plan atomique. Cette image topographique mesurée par microscopie à effet tunnel (STM) montre une zone de 600×600 nm2 avec plusieurs terrasses atomiques séparées par des marches monoatomiques. Dans un faible champ magnétique (0.04T) les zones bleues restent supraconductrices et les vortex se piègent uniquement sur les endroits faibles (liens Josephson) que sont les bords de marche. (b) Zoom à petite échelle au milieu d’une terrasse. On peut voir la résolution atomique ainsi que plusieurs domaines orientationnels contenant différents défauts structuraux (adatomes, clusters, lacunes, joints de grain). (c) Cette carte mesurée sur la zone b) montre le rôle collectif joué par les défauts. D’importantes fluctuations spectroscopiques (visualisées par le contraste entre les zones rouges et les zones bleues-vertes) se produisent sur des longueurs beaucoup plus petites que la longueur de cohérence supraconductrice ξ= 50 nm.

Nous avons fait croître sous ultravide des monocouches cristallines de plomb sur un substrat de silicium, puis analysé la structure électronique de ce système par microscopie à effet tunnel, à très basse température et sous champ magnétique. Nous avons ainsi déterminé l’effet des défauts ponctuels sur le spectre d’excitation électronique. En règle générale, un spectre de conductance tunnel acquis sur un supraconducteur conventionnel (BCS) montre deux pics, appelés pics de quasiparticules ou de cohérence, entourant une bande d’énergie interdite ou gap où la conductance est nulle. Dans les monocouches étudiées, nous avons mis en évidence une variation spatiale de ces spectres à une échelle inférieure à la longueur de cohérence des paires de Cooper, cette dernière valant environ 50 nm dans les deux systèmes. Un deuxième effet tout aussi surprenant a été mis en évidence pour une monocouche atomique de plomb de moindre densité : les fluctuations spatiales de remplissage de la bande interdite ont une longueur caractéristique elle aussi bien inférieure à la taille des paires de Cooper. L’analyse théorique de ce système a permis de comprendre l’origine de ce second effet : une interaction particulière à la surface des matériaux entre le spin et le moment orbital des électrons, connue sous le nom d’effet Rashba. Ces résultats permettent également d’anticiper des effets analogues sur d’autres films supraconducteurs ultraminces ou d’interface.

Publication

  • C. Brun, T. Cren, V. Cherkez, F. Debontridder, S. Pons, D. Fokin, M. C. Tringides, S. Bozhko, L. B. Ioffe, B. L. Altshuler et D. Roditchev. Remarkable effects of disorder on superconductivity of single atomic layers of lead on silicon. Nature Physics (2014) https://www.nature.com/articles/nphys2937

 

Effets d’un fort désordre non-magnétique sur des films ultra-minces de supraconducteurs conventionnels (NbN)

Nous cherchons à déterminer les conditions ultimes de l’existence de la supraconductivité conventionnelle en couche ultra-mince en présence de désordre non-magnétique. Ce domaine de la supraconductivité est aussi appelé étude de la « transition supraconducteur-isolant ». Il s’agit de comprendre pourquoi et comment certains systèmes supraconducteurs deviennent isolants dès qu’un désordre critique est atteint. Se pose également la question de la nature de cet état isolant ainsi que la nature des éventuels états intermédiaires métalliques pouvant être atteints avant (ou à la place) de la transition isolant. Ces matériaux possèdent des applications spatiales (bolomètres) ou en optique quantique (détecteurs de photon unique).

Parmi les différents systèmes expérimentaux étudiés dans ce domaine, nous étudions une classe de films minces désordonnés dits « amorphes-homogènes » de NbN (fabriqués par sputtering sur un substrat de saphir) qui présentent pour des épaisseurs de 10nm un état supraconducteur spatialement homogène bien décrit par la théorie BCS (Bardeen-Cooper-Schrieffer). Lorsqu’on réduit l’épaisseur des couches de NbN, une diminution progressive concomitante du gap Δ (environ 3 meV au maximum) et de la température critique Tc (environ 15 K au maximum) est observée. Nos mesures de transport et de spectroscopie tunnel à balayage (STS) suggèrent qu’il s’agit essentiellement d’un mécanisme de type Finkelstein, i.e. induit par la répulsion Coulombienne entre électrons qui augmente dans NbN lorsque le désordre augmente et qui affaiblit par conséquent l’appariement électronique lié à la supraconductivité.

Nous avons pu mettre en évidence le fait que les inhomogénéités spatiales observées pour le gap supraconducteur à 300mK sont corrélées en-dessous de Tc et au-dessus de Tc à 4,2K où existe un régime en température dit de pseudogap. Nous avons également montré l’existence d’une corrélation spatiale systématique entre la réduction locale du gap supraconducteur et l’effet des interactions Coulombiennes combinées au potentiel de désordre qui se traduisent dans les spectres tunnel STS par une réduction de la DOS autour du niveau de Fermi EF (effet Altshuler-Aronov).

Figure 3 : Corrélations spatiales croisées entre le gap supraconducteur local Δ(r) et l’exposant α(r) caractérisant l’effet Altshuler-Aronov. (a) représente la topographie STM de la zone étudiée (300×300 nm2). (b) représente sur la même zone la distribution spatiale du gap Δ(r). (c) représente sur la même zone la distribution spatiale de l’exposant α(r) caractérisant l’effet Altshuler-Aronov. Ce dernier est extrait en ajustant en chaque point de la topographie le spectre dI/dV(V) par une loi de puissance proportionnelle à V α(r) entre 5 et 30 mV. (d) représente la corrélation croisée entre la topographie en (a) et la carte du gap (b). On voit qu’il n’y a pas de corrélations croisées. (e) et (f) représente respectivement la distribution statistique des valeurs du gap et de l’exposant α. (g) représente la corrélation croisée entre la carte du gap locale (b) et la carte de l’exposant local. (c) Le fort signal négatif au centre montre une forte anti-corrélation (-0.55 au centre). C’est le résultat central de cette étude. Cela veut dire que comme montré dans le graphe h, dans les régions où le gap est plus grand (spectre rouge), le spectre dI/dV(V) mesuré à plus grande énergie est moins creusé (spectre rouge) comme on le voit sur le graphe i). Et vice-versa pour les régions de plus petit gap (spectres bleus). Cette figure est la figure 1 de l’article C. Carbillet et al. Phys. Rev. B 102, 024504, 2020.

Ces résultats montrent que la granularité émergente des propriétés supraconductrices est reliée à des effets Coulombiens. Or jusqu’ici les traitements théoriques de l’origine de cette granularité ne faisaient intervenir que le rôle du désordre sans interactions Coulombiennes. Le mécanisme de Finkelstein décrivant la réduction du gap et de la Tc dû à la combinaison désordre + effet Coulombien était bien connu et documenté théoriquement et expérimentalement, mais seulement comme effet macroscopique moyen. Grâce à notre étude nous avons pu montrer qu’il existe un pont entre ces deux descriptions et qu’une description microscopique « à la Finkelstein » quasi-quantitative est possible pour décrire la granularité émergente dans les films minces supraconducteurs désordonnés.

Publication

  • C. Carbillet, V. Cherkez, M. A. Skvortsov, M. V. Feigel’man, F. Debontridder, L. B. Ioffe, V. S. Stolyarov, K. Ilin, M. Siegel, D. Roditchev, T. Cren, and C. Brun. Spectroscopic evidence for strong correlations between local superconducting gap and local Altshuler-Aronov density of states suppression in ultrathin NbN films. Phys. Rev. B 102, 024504 (2020) https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03060011/document

Principales collaborations

  • K. Ilin et M. Siegel du Karlsruhe Institute of Technology
  • Lev Ioffe du laboratoire de physique théorique et des hautes énergies à SU
  • Mikhail Skvortsov et Mikhail Feigel’man de l’institut Landau à Moscou

Financement