Impact des cohérences quantiques sur l’effet isotopique lors d’un transfert de proton ultra-rapide


Le transfert de proton causé par une excitation lumineuse dans des molécules de taille réduite représente une plateforme idéale pour tester les limites de notre compréhension de nombreux phénomènes quantiques. La dynamique ultra-rapide et intrinsèquement hors équilibre entre noyaux et électrons exige un traitement purement quantique, augmentant exponentiellement la difficulté des simulations numériques.  C’est dans ce contexte que des scientifiques de l’INSP ont mené une analyse de l’effet isotopique et de sa dépendance aux conditions d’excitation lumineuse permettant une exploration détaillée de l’effet des vibrations et des cohérences électroniques sur la dynamique du transfert de proton.

Figure : Dépendance de l’effet isotopique avec la durée du pulse. L’un des deux systèmes étudiés présente une inversion de son effet isotopique pour des pulses de plus en plus longs. Ce phénomène est expliqué par la dynamique du paquet d’onde piégé dans HBQ pour des pulses courts.

Dans cette étude, deux molécules de référence présentant un transfert de proton ultrarapide (<100 fs), connues sous le nom de HBT et HBQ [1], ont été analysées en profondeur ainsi que leurs dynamiques. Grâce à une approche novatrice de simulation de tels phénomènes reposant sur le formalisme tensoriel des produits de matrice, cette étude s’affranchit du défi numérique lié à la simulation d’un système quantique de grande taille. Contrairement aux approches majoritairement statiques des études précédentes, notre modèle intègre une description dynamique du processus avec la présence explicite de 800 vibrations quantiques, actrices principales aussi bien du transfert de proton que de la transformation électronique associée. Remplaçant l’hydrogène par le plus lourd deutérium, la possible différence dans le temps de transfert peut indiquer le rôle du proton/deutéron, souligné par l’importance de la masse dans le transfert. À l’inverse, un transfert identique entre les deux isotopes indique que des vibrations permettent le transfert au cours de l’évolution temporelle après excitation.

La modification des caractéristiques de l’impulsion d’excitation révèle deux tendances opposées. D’un côté, de remarquables cohérences électroniques permettent un transfert ultra-rapide du proton. Ce phénomène très efficace illustre comment un système pourrait permettre un échange d’énergie optimisé. De l’autre, et comme représenté dans la Figure ci-dessous, un état piège présent dans le paysage énergétique d’un des modèles est largement peuplé par de brèves impulsions. De plus longues excitations au contraire ne recouvrent pas spectralement cet état, et révèlent par la même occasion un phénomène d’absorption assistée par vibration, examinée notamment par la mesure du spectre vibrationnel. 

En conclusion, l’analyse détaillée de deux molécules typiques pour l’étude de transfert de proton à l’état excité a permis une caractérisation extensive de leur dynamique respective. De plus, l’effet isotopique de l’un des deux systèmes peut être entièrement contrôlé par l’impulsion d’excitation, mettant en exergue un paramètre expérimental pouvant être utilisé à l’avenir pour étudier de tels systèmes. Cette analyse ouvre la voie pour l’utilisation large d’une méthode innovante, prenant en compte tout effet quantique pour des systèmes multi-dimensionnels. 

[1] HBT : 2-(2’-hydroxyphenyl)benzothiazole , HBQ : 10-hydroxybenzo[h]quinoline. Ces molécules sont des systèmes idéaux pour la comparaison expérience/théorie.

 

Référence :

« Impact and Interplay of Quantum Coherence and Dissipative Dynamics for Isotope Effects in Excited-State Intramolecular Proton Transfer »

Le Dé, Brieuc ; Huppert, Simon ; Spezia, Riccardo ; Chin, Alex W.

The Journal of Physical Chemistry Letters, 16, 10, 2514-2521 (2025) 

https://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/acs.jpclett.4c03665

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